Le dragon de Svalgaard

Les Ferhii l’avaient bannie. Linka avait dérobé une lame de pierre noire dans le temple des Elfes, sans savoir ce que c’était. Cette petite voleuse, frêle et gracieuse comme une luciole, toujours à l’affût d’un larcin, n’avait pas compris son exil. Les Elfes l’avaient rejetée mais elle s’en moquait, l’île de Svalgaard était un terrain de jeu bien trop amusant.

Elle vivait à présent en limite du territoire des Alskärns, le peuple des nains. Il se trouvait de l’autre côté du lac, dans la caldeira à l’est de l’île. Elle avait pris l’habitude de cueillir des baies sur ses rives au nord. Cette fois, elle décida d’aller vers le sud. Mais de ce côté-ci un enchevêtrement de ronces et de lianes formait un mur infranchissable. Elle allait renoncer et faire demi-tour quand elle tomba nez à nez avec un Alskärn. Elle s’efforçait de les éviter d’habitude, mais là elle ne pouvait s’échapper. Il avait de petits yeux noirs enfoncés dans les orbites sous d’épais sourcils en bataille qui lui donnaient un air malfaisant. Son ventre proéminent, retenu par une épaisse ceinture lui donnait un air de gnome. Lui aussi fut surpris de la voir, il s’arrêta net et saisit instinctivement son fouet. Il le fit claquer en direction de Linka. Elle esquiva le coup et sentit siffler la lanière juste à côté de sa chevelure. Mais le nain le maniait avec dextérité et les sifflements redoublaient, l’obligeant à danser sur place. Depuis son bannissement, elle gardait toujours sur elle la lame de pierre noire qui semblait si précieuse. Lorsqu’elle la brandit vers le nain pour se défendre, celui-ci recula interdit et s’immobilisa.

– Que fait la lame de pierre noire dans ta main ?

– Elle va servir à t’éventrer si tu m’approches pardi ! menaça-t-elle

– Pauvre idiote, ne sais-tu pas que cette lame est destinée à Rehar ?

– Rehar ?

– Mais d’où sors-tu ? Tu ne sais pas qui est Rehar ?

Devant son air ahuri, le nain remit tout-à-coup le fouet à sa ceinture et s’accroupit au bord du lac.

– Bon range cette lame et assieds-toi, je crois qu’on va causer tous les deux…lui dit-il en lui désignant une pierre.

Méfiante, Linka obtempéra, prête à bondir. Le nain qui s’appelait Broth, lui raconta l’histoire du lac. Rehar le dragon, démon du volcan, s’était approprié l’îlot situé au milieu et en interdisait l’accès à quiconque. Il gardait jalousement un gigantesque bloc de Lunite aux reflets moirés, remonté du centre de la terre par les laves. Ce monolithe aux propriétés régénératrices était le lien entre Gaïa, l’esprit de la nature et les Ferhii ainsi que les Alskärns vivant sur cette île. Gaïa l’avait fait remonter à la surface pour qu’il les irradie de ses bienfaits. Mais Rehar avait contrarié ses intentions en captant les propriétés de la Lunite au détriment des habitants de Svalgaard. Une seule chose pouvait le tuer : La lame de pierre noire, conservée dans le temple des elfes. Broth expliqua à Linka que Gaïa l’avait confiée aux ancêtres des elfes pour assurer l’équilibre des forces le moment venu. Mais ils avaient fini par oublier son pouvoir. Depuis, excepté Broth et Linka, personne n’osait s’approcher de ce lac maudit de peur de réveiller la fureur de Rehar.

À son tour, elle lui relata le vol du coutelas et son exil qui ne pourrait être rompu qu’à la condition d’accomplir une action significative en faveur de son peuple.

– Tu as donc une double raison de combattre Rehar : l’arme qui peut le tuer te permettra d’obtenir ta rédemption auprès des tiens

– Mais je n’y arriverai jamais seule ! Protesta-t-elle

– Tu ne l’es plus… Si on arrive tous les deux à le terrasser, je deviendrai le chef des Alskärns : ils ne pourront plus rien me refuser !

– Tu as raison ! Je vais montrer à mon peuple de quoi je suis capable ! s’écria-t-elle en se levant d’un bond.

Ils échafaudèrent un plan pour s’approcher du dragon. Il leur fallait dix minutes à la nage pour atteindre l’îlot mais la difficulté résidait à passer inaperçus. Ils projetèrent une expédition deux nuits plus tard : la nouvelle lune leur assurerait une discrétion suffisante pour se mettre en embuscade. Le lendemain, Broth et Linka préparèrent leur camouflage et montèrent la lame sur une lance.

Le moment venu, ils surveillèrent de loin les allées et venues du dragon afin de choisir un moment propice. La traversée se passa sans encombre, mais ils virent Rehar revenir en crachant des flammes explosives tel un volcan réveillé. C’était un de ces dragons noirs, les plus féroces. Il attaqua en un éclair leur laissant à peine le temps de s’abriter derrière un rocher. Un tonnerre de feu s’abattit sur eux, la pierre ne suffirait pas à les protéger de la fournaise. Ils filèrent à toutes jambes vers la grotte où se trouvait le bloc de Lunite. À mesure qu’ils s’en approchaient, ils sentaient leur énergie décupler : La pierre les irradiait de nouveau. Près de l’entrée, Linka s’arrêta tout-à-coup et cria à Broth :

– Attrape la lance, je vais faire diversion pour que tu puisses l’attaquer par derrière !

Elle se retourna et fit face au dragon en lui lançant des coups de fouet. Soudain, la lanière entoura la tête du géant qui se déchaîna. Il gratta le cuir avec ses griffes pour se libérer. Mais plus il se débattait et plus l’étau se resserrait. Linka tira de toutes ses forces pour le mettre à terre. Excédé, Rehar happa rageusement Linka, la secoua en tous sens avant de la projeter sans vie au sol. La violence de sa réaction eut raison de lui. Le corps du monstre s’écrasa avec une telle puissance que des débris se dispersèrent alentour. Le dragon à terre, lança un ultime jet de flammes qui passa juste à côté de Broth. Le nain n’avait plus qu’à transpercer le cœur avec la lame.

– Rehar est mort ! Hurla Broth vers le ciel

Pour célébrer la victoire contre le dragon, une cérémonie fut organisée : le nouveau chef des nains ramena la lame au temple des elfes et la déposa sur la stèle érigée en mémoire de Linka. La Lunite ranimait peu à peu la vitalité des habitants. Pour la première fois, Ferhii et Alskärns pouvaient enfin se réunir.

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