Le soleil a rendez-vous avec la lune

Une chanson passait à la radio. « Le soleil a rendez-vous avec la lune. Mais la lune n’est pas là et le soleil l’attend »… Il regarda par la lucarne. La nuit avait déjà empli l’horizon et il n’aimait pas cette obscurité qui le mettait mal à l’aise. Il regarda le thermomètre accroché près de la lucarne : 21°C à l’intérieur et déjà – 50°C à l’extérieur. Décidément il avait un mal fou à se faire à ces températures. On l’avait pourtant prévenu avant qu’il ne vienne. Il s’y était préparé, mais c’était bien plus dur qu’il ne l’avait imaginé. Il éteignit la radio et entendit alors le bruit du capteur de vibrations sismiques : clic, clic,…Le silence nocturne amplifiait tous les sons. Il avait mis du temps à s’habituer à cette nouvelle ambiance sonore. Cela faisait déjà 3 ans qu’il vivait là.

« Le soleil a rendez-vous avec la lune »…cette maudite ballade revenait en boucle dans sa tête. Il regarda dehors par la lucarne, de l’autre côté de la pièce cette fois, et aperçut au loin la Terre. Cette vision le réconforta. Pour un Sélénite, la planète mère constituait une présence permanente et rassurante dans le ciel… Ici on ne parlait pas des phases de la Lune mais de celles de la Terre : simple changement de paradigme. Le spectacle de la pleine Terre était d’ailleurs toujours saisissant. La lumière solaire réfléchie par l’astre bleu inondait la campagne lunaire, produisant littéralement un « clair de Terre ». Il se dit qu’il allait pouvoir l’admirer encore pendant un équivalent de 15 jours terrestres, jusqu’à ce que les premières lueurs de l’aube apparaissent sur la voûte céleste. Le Soleil se déplacerait alors très lentement, de façon presque imperceptible. Ses rayons resteraient rasants pendant de longues heures, éclairant en premier lieu les sommets, puis atteignant petit à petit les plaines. Il adorait ce moment toujours fugace où la lumière chassait l’obscurité, la température passant rapidement de -170°C à +120°C.

Il faisait partie des premiers groupes envoyés. La Terre était devenue hostile, les êtres humains avait fini par rendre leur planète inhospitalière et la vie n’y était plus pérenne. Il fallait trouver d’autres alternatives et la lune en était une parmi d’autres. Les groupes de colons avaient été formés à partir de l’analyse de leur génome. Pour se porter volontaire, il suffisait d’être en âge de procréer, d’être fécond, sans antécédent médical et de désirer des enfants. Il avait eu de la chance : sa candidature avait été retenue et on lui avait attribué une compagne. Leurs ADNs étaient compatibles : la révision de la biodiversité version homo sapiens en quelque sorte. Afin de faire table rase de leur passé terrien, une nouvelle identité leur avait été également attribuée : il était devenu LUNE-M325OT et elle LUNE-F756IN…Pas facile de s’appeler par leur nouveau nom de code…D’un commun accord, ils s’étaient donnés les diminutifs MOT et FIN, c’était bien plus simple. Leurs nouveaux amis séléniens s’en amusaient, depuis ils l’appelaient « le MOT de la FIN ». Et elle était devenue « la FIN du MOT ». De quoi donner du sens à leur histoire qui débutait.

Tout avait été soigneusement organisé avant leur arrivée : une centrale électrique avait été construite et des modules climatisés et pressurisés, installés. Finalement le paysage n’était pas si différent de la Terre : de vastes plaines, mais aussi des montagnes vertigineuses sillonnées de vallées encaissées. La principale différence était l’absence d’eau et de végétation. Ce monde minéral façonné par les bombardements météoritiques, semblable à un champ de bataille, fascinait les nouveaux arrivants. Les cratères criblaient littéralement la surface lunaire. Glissements de terrains, remontées de lave ou chute de météorites venaient souvent transformer leur aspect, si bien que le paysage évoluait sans cesse. Au début, ça désorientait, il fallait constamment trouver de nouveaux repères sur cette planète aux volumes changeants.

Le plus dur avait été de se faire au « régolithe » qui recouvrait tout ici. S’immisçant dans les moindres interstices, la poussière cosmique, âcre prenait d’assaut la gorge. Les particules fines rongeaient la peau, recouvrant le corps d’une gangue impalpable et pourtant bien réelle. Chaque jour, tout devait être nettoyé, aspiré, filtré, pompé avec des machines improbables…MOT avait vraiment l’impression de devenir un Shadok, à ceci près qu’il ressentait avec acuité toute l’absurdité de sa vie. Calfeutrés dans leur module tout confort, FIN et lui se sentaient à la longue comme des prisonniers déportés dans une contrée lointaine, comme pour les empêcher à jamais de revenir frayer avec les vivants. Tels des bagnards, ils luttaient sans relâche contre cet environnement se révélant finalement plus hostile que dans leur imaginaire de colons. On leur avait promis la Lune et maintenant ils demandaient la Terre. Elle leur manquait terriblement. Tel un membre fantôme, ils ressentaient la douleur de son absence. Dans la nuit glaciale, la vision du clair de Terre, au début si fantasmagorique, si poétique ressemblait de plus en plus à un mirage. Leur monde s’inversait totalement, ce n’était plus la lune qui symbolisait le rêve et la distraction : ils étaient souvent dans la Terre, quand ils n’avaient pas l’air d’en tomber! L’ennui du temps se distendait en les engourdissant, la faute à l’inconsistance de leur vie. La nostalgie d’un monde disparu les avaient heureusement soudés : mais si le MOT de la FIN et la FIN du MOT ne faisaient plus qu’un, leurs génomes respectifs pourtant si compatibles ne s’étaient jamais liés. Leur rêve d’une colonie s’amenuisait au fil du temps, leur histoire restait en suspens, sans épilogue, comme un roman inachevé faute d’inspiration.

« Le soleil a rendez-vous avec la lune. Mais la lune n’est pas là et le soleil l’attend »…La ritournelle entêtante sonnait cruellement comme un rendez-vous manqué d’un MOT plein d’amour pour la FIN d’une seule vie.

1 réflexion sur “Le soleil a rendez-vous avec la lune”

  1. 10 mots pour demain: Exercice consistant à écrire une nouvelle à partir d’une liste de mots
    ailleurs, capteur, clair de terre, clic, compatible, désirer, génome, pérenne, transformer, vision

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