Une salopette pour le salut d’un salopard

Nu et recroquevillé sur le radiateur de ma cellule, Je fus réveillé par le cliquetis dans le couloir accompagné du pas traînant de Fournier. Arrivé devant la grille faisant office de porte il se reput du spectacle avant de me jeter à travers les barreaux une veste et un pantalon.

– Maurice, parloir !

Les visites étaient rares. Seule mon avocate venait me voir. Je m’habillai sans un mot devant mon tortionnaire, en ignorant son sourire. Il avait pris plaisir ces derniers mois à m’avilir un peu plus chaque jour. Il m’avait d’abord supprimé les objets, ces petits riens qui font l’incarcération plus facile à supporter. Puis ce fut tout le reste : ne restaient que 4M² crasseux sans sanitaire avec juste un radiateur sur lequel j’avais appris à dormir. Quand vint le tour des vêtements, ce fut le coup de grâce. Dans le couloir de la mort, j’avais droit à un gardien personnel qui exacerbait mon animalité en prélude à mon exécution.

Une fois vêtu mais toujours pieds nus, il m’emmena au parloir. Elsa m’attendait derrière la vitre. Elle si calme d’ordinaire s’agitait sur sa chaise en farfouillant dans son sac. Décidé à la décourager, j’attaquai bille en tête :

– Elsa, rien ne t’oblige à venir me voir, je ne veux pas faire appel…Tu es gentille de te démener pour moi, mais tu sais bien qu’on ne gracie jamais le meurtrier d’un policier

Elle sortit un journal de son sac et le plaqua contre la vitre pour me montrer la une :

– Je me démène si je veux Philippe, je te rappelle que j’ai reçu des menaces de mort pour t’avoir défendu à ton procès… Mais, aujourd’hui est un grand jour ! Coluche vient d’être élu Président de la République !

Je ne voyais pas le rapport avec moi

– … Et alors ?

Elle brandit la feuille de chou :

– Regarde, dans son discours, il a annoncé ses premières mesures : Il y a l’abolition de la peine de mort !

– Tu sais bien que c’est trop tard pour moi : On peut m’exécuter à tout moment et il faut des mois pour voter une loi.

La perspective de garder la tête sur les épaules me semblait aussi improbable que de gagner au loto. Mais Elsa ne s’avouait jamais vaincue, elle y croyait.

Je lus l’article qui relatait l’élection présidentielle du 10 mai 1981. Coluche, le candidat « Bleu, Blanc, merde » des abstentionnistes, ce bouffon inclassable faisant rire la France, suspect auprès des bien-pensants de tout poil, avait obtenu le pouvoir qu’il avait pourtant voulu déprécier en infusant l’idée d’un spectacle électoral transformé en comédie. Le nouveau chef des Armées était apparu devant les caméras affublé de sa tenue légendaire, à l’origine de son parti les « Salopettes rayées » et de son slogan « Votez pour les salopettes plutôt que pour des salopards ! ». Dans son discours, il avait dévoilé ses projets à court terme : La dissolution de l’Assemblée nationale, un nouveau ministère de la pauvreté chargé de la création d’une banque alimentaire… Et l’abolition de la peine de mort. Ironie de l’histoire, je songeai que les rayures « Papillon » tendance bagnard allaient disparaître grâce au nouveau parti arborant le même code vestimentaire.

Le temps du parloir arrivait à sa fin. Elsa me demanda si tout allait bien en prison. Je ne lui dit rien de mes conditions de détention, elle aurait été capable de remuer l’administration pénitentiaire pour mettre à pied mon gardien. À quoi bon, le couloir de la mort était l’anti-chambre de la guillotine et perdre la tête me semblait préférable à cette vie.

Deux semaines plus tard, Fournier toujours prompt à me rappeler mon sursis, me fit les salutations d’usage :

– Alors Maurice, toujours entier ?

Il me lança de nouveau les vêtements poisseux :

– Dépêche-toi, parloir !

Elsa n’était pas seule. Un homme que je connaissais pas l’accompagnait. Sans préambule, elle m’annonça toute excitée :

– Philippe, le Président t’a gracié ! Il a commué ta condamnation à mort en réclusion criminelle à perpétuité !

La nouvelle m’avait sonné, je n’arrivais même pas à réaliser ce que ça voulait dire. J’avais appris à ne me plus projeter au lendemain, le temps n’avait plus de sens pour moi. Alors la perpétuité…

L’homme se présenta comme le garde des sceaux et m’expliqua qu’on allait abolir la peine capitale et que je deviendrais le symbole de cette abolition. Il m’enjoignit de reprendre mes études en prison pour montrer que le jeune homme rebelle et plein de haine d’autrefois était bien mort sans que la société se soit couvert les mains de son sang. En clair : « L’opinion publique te voit comme un salopard. Ne nous déçois pas » .

On me rendit mes vêtements et transféra dans un autre secteur de la prison. Je laissais mon Fournier furibond de n’avoir pu amener son détenu se faire trancher la tête comme un saucisson. Elsa m’informa de l’évolution du projet de loi. Je me surprenais à attendre ses visites qui égayaient mon quotidien, très nettement amélioré. J’avais de nouveau des meubles… Et je m’étais remis à étudier pour passer mon baccalauréat. Je me construisais enfin une perspective.

Je me demandais souvent ce qu’il serait advenu de moi si Coluche n’avait pas été élu : Sûrement exécuté avec Giscard, peut-être pas avec Mitterrand qui partageait la vision de la France, les idées du nouveau Président. C’était juste une question de tempérament et de méthodes. Coluche bousculait en prime les codes : le nouveau protocole était précisément qu’il n’y en avait plus. Désormais, plus rien n’était tabou. Après les législatives, Mitterrand devint Premier Ministre. Ces deux-là appliquaient la Constitution comme de Gaulle l’avait définie : « Un esprit, des institutions, une pratique ». Ça frictionnait, mais le duo fonctionnait assez bien.

La peine de mort fut finalement abolie : Il fallait maintenant penser aux vivants. La banque alimentaire démarra avec le « Biscuit de vie », ration alimentaire suffisante par jour et par personne. Le bouffon nous prouvait ainsi que la religion l’inspirait. En reprenant à son compte « Tu ne tueras point » et « Je suis le Pain de vie » Coluche instaurait-il une République absolue de droit divin ?

1 réflexion sur “Une salopette pour le salut d’un salopard”

  1. Philippe Maurice est un ancien criminel français, condamné à mort par la justice française en 1980 pour complicité de meurtre et meurtre sur agents de la force publique. Il est gracié en 1981 par Mitterrand juste avant que la peine de mort ne soit abolie. Devenu historien au cours de sa détention, il se spécialise en histoire médiévale.
    En 1999, il est placé en régime de semi-liberté, puis bénéficie d’une libération conditionnelle en 2000. La communauté scientifique de l’université de Tours lui trouve un poste d’assistant de recherche. Il débute également bénévolement le travail sur un volume des Fasti Ecclesiae Gallicanae, recherche sur l’Église de France au Moyen Âge.
    Chargé de recherches, il travaille à l’EHESS dans les domaines de la famille, de la religion et du pouvoir au Moyen Âge. Il est également chargé de recherche au CNRS.

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